De la SF tout compris
Il existe des auteurs ambitieux, David Brin est certainement de ceux-là. En terminant la lecture d’Existence je me suis posé la question :
Est-ce le roman ultime de Hard SF?
A chacun sa réponse..
Au début du roman nous sommes en 2050, la terre a connu une catastrophe nucléaire sous forme d’attaques terroristes lors du “Jour sombre”. L’environnement global a continué à se dégrader sur la lancée du réchauffement climatique, montée des eaux, océans poubelles ….
Les Etats-unis ont éclaté à la suite du “Jour sombre”, la Chine est devenue la première puissance d’une économie plus mondialisée que jamais et stabilisée dans sa structure sociale par le “Superaccord” conclu entre les gouvernants réunis dans l’Union Mondiale et les puissances économiques divisant la société en dix “Ordres”. Le développement des réseaux et des Intelligences Artificielles présentes dans tous les domaines donne accès à tous à toutes les informations et a permis l’émergence de véritables personnalités virtuelles dont le rat Porfirio.
On pourrait se croire dans un roman de la Tétralogie Noire de John Brunner, autant par le fond que par la forme. David Brin se référe explicitement à Tous à Zanzibar dont il a repris la structure narrative inspirée de Dos Passos.
Une brochette de personnages principaux exceptionnelle. Premier à entrer en scène, Gérald, astronaute éboueur assisté par un singe évolué. Puis Hacker Saénder, play-boy multimillionnaire aventurier jouant à l’astronaute avec ses fusées sportives. Le personnage central, Tor Povlov, une journaliste free-lance toujours à l’affût d’informations délaissées par ses confrères. Hamish Brookeman, écrivain d’anticipation catastrophiste opposé aux dernières avancées scientifique et techniques, porte-parole du “Mouvement du Renoncement” dirigé par Tenskwatawa. Jonamine Bat Amittai, auteur de “La corne d’abondance de Pandore” dont les extraits parsèment l’ensemble du livre. Lacey Sander, mère de Hacker et membre du Premier Ordre. Peng Xiang Bin et son épouse Mei Ling, coolies chinois, subsistants de la récupération d’objets engloutis lors de la submersion de Shangai. Le professeur Noozone, scientifique Rasta Jamaïcain animateur du show “L’univers est à vous”.
On y trouve encore une entité hybride composée à partir d’un mélange d’esprit entre les autistes et les ia, ayant son propre langage à la ponctuation symbolique.
“Qu’est-ce qui compte, alors ?/? le progrès ? de nouveaux esprits ??
après le cortex et les bibliothèques : le Web, lacis, réseau-ia
— quoi encore ?/!
pour offrir l’espoir/l’échec à cette folle humanité +/?
aux brillants esprits horlas 1 +/?
ou aux hybrides-autistes tels que moi +/?“
Et puis des Néandertaliens recréés, des Dauphins et des singes sapiens, des cyborgs, des robots conscients.
Enfin, des extraterrestres, de toutes provenances et de toutes formes, virtuels, contenus dans des univers de poche, émissaires de civilisations lointaines, rivaux ou alliés, rivalisant de séduction pour convaincre les habitants de la terre de se joindre à eux… Mais pour quoi faire?
Et l’histoire dans tout ça.
Les histoires, car le fil narratif est multiple. Le livre se divise en huit parties, les six premières se situant dans une continuité temporelle, les deux suivantes reprenant chacune quelques années plus tard.
Dans les six premières parties, l’histoire suit les personnages, en commençant par Gerald et sa découverte d’un artefact étrange dans l’espace. D’où vient cet artefact ? Est-il vraiment extraterrestre ? Est-ce un canular ? Les destinées s’entrecroisent, mêlant recherche scientifique, aventures, explorations, enquêtes journalistiques, manipulations politiques, barbouzes, révélations médiatiques à un rythme soutenu. Se mêlent aux aventures des robots, des ia, un e-ssaim, des dauphins, des auties. D’autres artefacts venus du fond de l’histoire humaine apparaissent. Et le tout converge vers une révélation finale qui va permettre de mettre en place les deux dernières parties.
Il est difficile de parler des deux dernières parties sans dévoiler des éléments des six premières. Nous y retrouvons nos protagonistes des années plus tard, préparant l’humanité aux conséquences de la révélation finale. Nous découvrons une grande partie de l’histoire des civilisations galactiques, des conflits et batailles, et l’enjeu et les défis y sont immenses.
Des idées, encore des idées
Le thème principal du roman est Le Paradoxe de Fermi. David Brin y apporte des réponses originales qui se chevauchent et se contredisent au fur et à mesure des découvertes. Il introduit aussi une série de questions aux éventuels observateurs extraterrestres remettant en question leurs comportements supposés. Comme dans “Le cycle de l’élévation” il donne une place singulière à l’humanité au sein des civilisations galactiques.
Autour de ce thème transversal, il nous propose une vision du futur conduisant l’humanité à dépasser les catastrophes qu’elle a elle-même engendrées.
David Brin fait preuve d’un optimisme très Américain, et pour lui, c’est à partir du progrès technologique, de la liberté individuelle et de la liberté d’entreprendre que l’humanité pourra continuer à avancer.
Cette liberté n’est pas restrictive, elle inclut la coopération comme dans le cas des e-ssaims, groupes d’individus informels qui collaborent ensemble à la résolution de problèmes d’une manière plus efficace que des structures hiérarchiques.
Sa vision de l’humanité est ouverte et il y intègre à la fois les humains “normaux”, les “auties” ou autistes surdoués qu’il considère comme une espèce à part, des néandertaliens recréés, des néo-dauphins et des néo-chimpanzés, des intelligences artificielles, des cyborgs, et même pourquoi-pas des extraterrestres qui adhèrent à sa vision.
Les choix technologiques du roman excluent toute possibilité de voyage supra-luminique, et c’est à partir de technologies à notre portée qu’il envisage les déplacements à travers l’espace, voile solaire propulsée par laser, frondes balistiques par exemple.
Et pour finir
Existence est un roman riche en idées, en concepts, en questions. Les réponses fournies sont celles de l’auteur, et même si on n’adhère pas à ses convictions les questions restent valides.
Mais surtout pour l’amateur de SFFF c’est un roman d’imaginaire, mêlant de façon originale, aventures, merveilleux voire fantastique, à une vision réaliste de la science à travers des personnages attachants.
A travers l’espace, à travers le temps, ici et ailleurs, de l’infiniment petit à l’infiniment grand, un superbe roman de Hard Speculative Fiction.
Bonne lecture.
PS – critique à lire sur Le culte d’Apophis.