Ada Palmer - Trop semblable à l'éclair

Trop semblable à l’éclair – Ada Palmer

Utopie, vous avez dit utopie?
Dans le cycle de « Terra Ignota » Ada Palmer renoue avec une science-fiction prospective nourrie par sa perspective d’historienne.

2454, il n’y a plus de conflits armé, la société est une société d’abondance, les nations ont disparus, chacun est libre d’adhérer ou non à une « Ruche », au nombre de sept, elles ont remplacé les états nations tombés en désuétude et réduits à leur folklore historique, la famille nucléaire s’est éteinte, remplacée par le « Bash » groupe familial d’un nombre variable d’adultes élevant des enfants issus ou non des membres du groupe.
Tout ceci a été rendu possible par les progrès techniques, dont un élément central du livre, le système « Mukta » transport individuel par des véhicules rapides pilotés par un système centralisé.
L’opposition de genre masculin/féminin a disparu, symbolisée par l’utilisation par le narrateur en VO du « Singular they » traduit en français par « on » ou « ons » pour les besoins du lecteur contemporain.
Les religions organisées sont interdites mais la spiritualité, voire la théologie sont encouragées sous la supervision des « Sensayers ».

Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ?
Ce n’est pas certain, et notre guide Mycroft Canner, Mycroft en hommage à Sherlock Holmes, condamné à être un Servant pour le reste de son existence, suite à des crimes qui seront révélés au court du récit, va nous faire découvrir cette société si étrange, plongeant au cœur d’une enquête sur une machination médiatique, le vol d’une liste des dirigeants les plus populaires, on va comprendre son importance au fil du livre.
Nous voilà, tel Watson accompagnant Holmes, découvrant les indices au fur et à mesure de l’avancement de l’intrigue. Chaque nouvelle découverte ajoutant à notre perplexité tout en nous en apprenant de plus en plus sur ce monde étonnant.

On, Ons, Mycroft, tout en insistant sur le politiquement correct des formes neutres, continue à utiliser les genres dans ses descriptions des protagonistes.
L’écriture du livre est déroutante, d’ailleurs notre narrateur nous prévient dès la première page qu’il choisit une langue ancienne, celle du « Siècle des lumières » pour conter son époque qui emploie d’autres langues et d’autres formes. Tout au long de la narration, Mycroft se permet des apartés, adresses ou même suppliques au lecteur pour qu’il lui accorde son pardon pour les libertés de ton qu’il s’octroie.
On trouvera de nombreuses références à Voltaire dit Le Patriarche, Diderot dit Le Philosophe, Rousseau, Sade et autres représentants des Lumières.
En dépit de ces références, le monde que nous parcourons, très rapidement grâce au système de transport « Mukta » n’est pas centré sur l’Europe et intègre toutes les cultures.

Politique.
La disparition des états nations et des blocs politiques classiques a laissé place à de nouveaux rapports de force. Les sept « Ruches » ont chacune leur point fort, population, foncier ou revenu. Ces rapports de force évoluent constamment et le succès populaire de chaque ruche est mesuré par la liste des sept/dix qui est publiée et commentée régulièrement, chaque journal ou groupe la publiant a sa propre version, et ces différentes versions influencent les rapports de force entre les ruches.
Les dirigeants des ruches, par souci de stabilité, se rencontrent régulièrement pour que les variations soient minimes et que l’équilibre des forces soit maintenu. Le vol d’une liste avant sa publication provoque une crise qui conduit les dirigeants à diligenter l’enquête à laquelle participe Mycroft.

Instabilité.
Au milieu de la multitude des personnages que rencontre Mycroft, la plupart faisant partie des dirigeants de la planète, du « Bash » gérant le « Mukta » ou des enquêteurs, trois personnalités atypiques émergent.
Le premier, Bridger est un enfant dont l’origine nous reste inconnue, possédant des pouvoirs quasi divins, accompagnés de son armée miniature, et dont l’existence n’est connue que de Mycroft et de certains membres du « Bash ».
Le deuxième est le fils du dirigeant de la Ruche Macon, J.E.D.D. Maçon, apparemment capable au moins de lire dans les esprits mais dont les capacité réelles nous sont inconnues.
Le troisième, que nous découvrirons plus tard, fut le complice de Mycroft pour les crimes qui lui ont valu sa condamnation.

En conclusion.
Résumer ce livre est une gageure, le « Worldbuilding », la multitude de personnages, les strates superposées des intrigues, les fondements philosophiques et historiques en font un livre difficile. Il faut parfois revenir en arrière pour relier les trames.
Je reprend l’analogie avec le Dr Watson qui accompagne Sherlock dans ses enquêtes. C’est ce plaisir d’essayer de comprendre la richesse des énigmes et la façon de les résoudre qu’Ada Palmer nous propose, qui donne tout son sel à ce premier tome. Un véritable jeu de piste avec des culs-de-sac, des impasses, des illuminations soudaines, et pour finir un véritable « Cliffhanger » qui donne envie de lire la suite le plus rapidement possible.