En 2020, Kim Stanley Robinson (KSR pour simplifier) a écrit Le Ministère du Futur un roman se déroulant sur la période 2025 à 2050 sur notre planète menacée par les conséquences du changement climatique. Ce thème, KSR l’avait déjà abordé dans ses séries Orange County, La trilogie climatique ainsi que dans les romans S.O.S Antartica, New-York 2140 et Lune Rouge. Dans tous ses ouvrages, la préoccupation écologique est au premier plan et conditionne l’environnement des personnages ainsi que l’intrigue. KSR se place dans un futur proche et propose des possibilités d’adaptation au changement, dans un cadre local relié au changement global. Partant d’un résumé succinct de l’intrigue du Ministère du Futur nous allons pouvoir retrouver des éléments communs, dans l’ensemble de l’œuvre de KSR, reliant tous ses écrits à une approche à la fois écosystémique et holistique (qui considère tous ses objets comme appartenant à un tout).
Le Ministère du Futur
L’ouverture du roman est terrifiante, une vague de chaleur exceptionnelle frappe l’Uttar Pradesh en Inde. Cette vague de chaleur provoque une panne électrique et quelques rares habitants sur des millions parviennent à survivre. Dont un des protagonistes du roman Frank May, humanitaire Américain. A partir de cet évènement dramatique, KSR nous montre un monde qui a pris conscience de la menace. L’ONU a créé le Ministère du futur dirigé par Mary Murphy une diplomate. Tout au long du roman, KSR nous propose une multitude de solutions qui mises bout à bout permettrons peut-être à l’humanité de survivre sans catastrophe majeure. Bien entendu c’est aussi un roman, et avec sa précision habituelle KSR nous propose de multiples péripéties anecdotiques ou dramatiques se déroulant dans des cadres qu’il connait bien et décrit méticuleusement. C’est d’ailleurs cette écriture qui va nous permettre de relier ce roman à l’ensemble de son œuvre et de cette approche que je qualifie d’écosystémique.
De la SF tout azimut
En dehors de la SF d’anticipation post-apocalyptique et écologique, KSR a écrit dans d’autres genres.
Sa Trilogie Martienne traite de la colonisation de Mars sur plus de 200 ans.
Le Rêve de Galilée évoque la rencontre de Galilée avec des voyageurs du temps venus de Jupiter.
2312 décrit une société “utopique” dans un système solaire du futur, tentant de restaurer le système écologique de la terre.
Chronique des années noires est une uchronie où la civilisation occidentale a été anéantie lors de la peste noire au 14ème siècle.
Aurora décrit le voyage d’un vaisseau parti coloniser une planète lointaine et l’évolution de son équipage sur plusieurs générations.
Chaman raconte l’initiation et le passage à l’âge adulte d’un jeune garçon qui deviendra le Chaman de sa tribu à l’âge de glace dans le contexte de la grotte Chauvet.
Cohérence de la thématique
Né en 1952, KSR passe son enfance et son adolescence en Californie dans l’Orange County. Il a vécu, comme il le dit lui-même, le Choc du futur à travers l’urbanisation, basée sur l’automobile, de ce comté californien. Ses études à partir de 1971 à l’université de San Diego vont le conduire à une thèse sur l’œuvre de Philip K. Dick sous la direction de Fredric Jameson. De cette période sont issus ses thèmes de prédilection qui se fondent sur une utopie mettant en cohérence une organisation sociale et politique et l’intégration de l’homme dans le milieu naturel. Sa vision de l’écologie politique est une vision positive où la connaissance scientifique et sociale doit permettre à la fois des avancées sociales et la préservation de la biodiversité. Le désespoir et le catastrophisme n’ont pas leur place dans ses écrits. Quelle que soit la gravité des situations, il met toujours en avant la possibilité d’une amélioration à travers une organisation sociale basée sur la connaissance et la coopération.
Une écriture précise et réaliste
KSR nous parle toujours de ce qu’il connait. Par exemple , c’est un grand amateur de randonnées, et on retrouve dans un grande partie de ses romans des descriptions de paysages très détaillées, que ce soit pour la géologie ou la flore. S.O.S Antarctica, basé sur son séjour en antarctique, qui nous plonge dans ce milieu glacé avec une précision extrême et une connaissance très pointue sur les explorations de ce continent extraordinaire. Cette même précision peut être parfois un obstacle à la lecture comme par exemple dans New-York 2140 qui est d’un abord difficile pour qui ne s’est jamais rendu à New-York, c’est à dire pour beaucoup d’entre nous. C’est au contraire un avantage certain dans des romans comme S.O.S Antarctica, la Trilogie Martienne, Chaman et Le Ministère du Futur. Sa précision ne se limite pas aux descriptions des lieux. C’est un écrivain qui se documente abondamment, ce qui peut parfois avoir l’inconvénient de dater ses œuvres, la connaissance avançant parfois plus vite et différemment de ce que la science, à un instant précis, pouvait laisser espérer. C’est un risque habituel pour un auteur de SF prospective.
Des intrigues à niveaux multiples
Dans la plupart de ses romans, le point de départ s’appuie sur la vision d’un évènement particulier à partir d’un personnage. Ce peut être le principal ou seulement un secondaire. A partir de ce point de vue KSR élargit progressivement l’intrigue en introduisant d’autres protagonistes qui apportent de nouveaux points de vue et élargissent graduellement le contexte jusqu’à nous fournir une vue globale de l’environnement du roman. Cette approche est une analogie de la démarche scientifique pragmatique qui passe de l’observation à l’analyse pour finalement nous conduire à la synthèse. Grand amateur de Jules Verne dans son enfance, KSR s’est probablement inspiré de son écriture didactique.
Une démarche écosystémique
L’écologie comme thème de prédilection de l’auteur se retrouve dans la construction de ses romans. Son approche à niveaux multiples est éclairée par les interactions entre ces niveaux. Comme dans un système écologique chaque élément interagit avec les autres en boucles de rétroaction, et des éléments dont la signification parait insignifiante au premier abord voient leur importance révélée au regard d’autres évènements. On n’y trouve pas de hiérarchie ni d’ordre immuable, pas de super-héros mais pas non plus de simples victimes. Les personnages ont une capacité d’action, chacun à son niveau. Le plus souvent c’est à partir d’un collectif que les situations évoluent. La tribu dans Chaman, le ministère dans Le Ministère du Futur, le conseil municipal dans Lisière du Pacifique …
Et de la même manière qu’un écosystème perturbé retrouvera un équilibre à la suite de changements, les romans de KSR mènent la plupart du temps à cette recherche de futurs positifs.
En attendant la sortie du Ministère du Futur en Français prévue le 25 octobre 2023, je vous recommande donc de lire ou relire les romans de KSR, vous en trouverez certainement un qui correspond à un de vos genres préférés.
Bonne lecture.